La loi, ici, c'est moi

J'entre dans le bureau du shériff. Son adjoint est là, assis sur le rebord d'une table. Le shériff est derrière son bureau. Ils sont armés, normal. Y'a une étagère chargée de fusils à pompe derrière le deputy sheriff et un posé derrière le sheriff. Si ça pue, on la jouera vraiment fusillade à OK Corall.

"Que puis-je pour vous?
-Lieutenant Jack Slater, Police de Dépra.
-Vous êtes bien loin de votre juridiction, Lieutenant."

J'arrive au niveau du bureau et m'appuie des deux poings dessus, le regard plongé dans celui du sheriff.

"Et vous, vous êtes bien loin de la légalité.
-Je ne vois pas de quoi vous voulez parler."

Mon poing l'allonge au sol, le deputy se redresse mais mon regard suffit à lui faire comprendre qu'il ferait mieux de ne pas se mêler de ça. J'attrape le gros porc qui sert de shériff à ce village.

"Ecoute moi bien, fumier, si tu continue à racketter les fermiers du coin, je reviens et je te fais sauter la cervelle. Comprit?"

Le mec me jette un regard empli de haine, mais il a compris. Je le relâche et il se vautre dans son fauteuil à roulette qui heurte violement le mur. Je me retourne et me dirige vers la sortie.

"Slater!"

C'est là que je comprend que j'ai fait une connerie. Le bruit de la pompe d'une winchester 1200 résonne dans ma tête... Oh, putain...

La balle arrache la morceau de mur devant lequel je me trouvais une seconde plus tôt. Mon plaquage au sol, sur le dos manque certainement de classe, mais au moins je suis toujours vivant. Vivant et mon desert Eagle à la main. Je me redresse comme un diable de sa boîte et j'arrose. La première balle le frappe au torse et l'envoei de nouveau dans son siège, la seconde dans le ventre, la troisième juste à côté, la quatrième plus ou moins au niveau du coeur...

La balle suivante, ce n'est pas moi qui la tire, mais le deputy, il ne me loupe que de quelques milimiètres, je sens la balle me frôler le visage, je me contorsione, mon flingue l'aligne... La première balle dans la gorge, la deuxième passe à côté. Il s'écroule au sol. Vu ce qu'il perde de sang, il ne va pas durer longtemps.

Putain, c'est crade... Je sors du bureau, le flingue encore fumant. Je prend mon portable et passe un appel :

"Allô, Capitaine? J'ai besoin de vous immédiatement à Lure Hill. C'est urgent. Très urgent."

Je raccroche. Faisons le bilan : je viens de buter deux flics, il ne me reste aucun témoin de la fusillade, je ne peut donc pas prouver que je n'ai pas tirer le premier... Il me reste les victimes... Faisons le bilan... Une chanson la résume bien.

I shot the sheriff


Merde, le second couplet n'est déjà plus bon.

[—> Washington Heights]

Après un trajet relativement long à travers les rues de la City et sur les routes du Comté, j'arrive enfin en vue de Lure Hill. Vieux village sans grand intérêt sauf pour les touristes et les bandits tout aussi vieux qui veulent se taper une retraite pénarde loin de la civilisation. J'espère que le déplacement valait le coup et que Slater ne s'est pas foutu de moi parce qu'un coup d'œil au réservoir de la Ford m'indique qu'elle est a plus pour longtemps à rouler. Je suppose que je vais devoir roupiller dans le village... Bah, pourquoi pas ? Ça me changera les idées. Et l'air pur de la campagne me manque un peu, à vrai dire. Air pur tout aussi pollué que le reste, mais moins bitumé. C'est important, comme détail. Bref, toujours est-il que j'entre dans la Rue Principale, tout phares ouverts, avec mon kit de caméra/masque à gaz toujours dans le coffre. Quand est-ce qu'ils vont me donner le temps de m'équiper, ces cons-là ?

D'ailleurs, je voudrais pas prendre de la place dans la vie de mon cher Lieutenant, mais il a négligé de me dire où le rejoindre... Lure Hill a beau être un village semi-fantôme, il reste quand même un endroit relativement vaste que je n'ai pas envie de fouiller jusqu'à l'aube. Il ne doit pas être loin. S'il est dans le coin, il aura déjà entendu le bruit du moteur, et peut-être même aperçu les phares. Je me gare au milieu de la rue. Par expérience, je sais que la circulation n'est pas la spécialité de la ville, et à la tombée de la nuit, je doute que je gênerais. Je sors donc, laissant le moteur ronronner et les phares éclarer la rue devant moi, et va m'appuyer contre le capot, bras croisés, ma jambe droite barrant ma gauche, et attends que Slater vienne à ma rencontre. Je lui donne deux minutes.

Le voilà... Pourquoi il s'arrête en plein milieu de la ville, ce con... Mouais, j'ai peut-être oublié de lui dire où je suis... J'hésite un moment à siffler pour l'appeller, mais siffler son supérieur, ça ne le fait jamais beaucoup...

Alors je m'approche doucement. Le Desert Eagle a rejoint ma poche depuis un moment. Personne n'a osé sortir dans la rue, on se croirait vraiment dans un village fantôme.

J'apparaît dans le faisceau lumineux des phares et fait un geste de la main.
"Merci d'être venu, Capitaine, ça se passe chez le shériff, venez."

Ma voix tremble légèrement. Peut-être parce que j'ai conscience de ce qui suit nécéssairement...
Je lui laisse le temps de couper le moteur puis l'emmène jusqu'au lieu de la fusillade. Rien que l'odeur de sang avec ce léger reste de poudre doit lui dire à l'avance ce qu'il va trouver sur place. J'allume la lampe de la pièce principale et les deux cadavres apparaissent. Le premier, celui du deputy baigne dans une mare de sang énorme. So visage blême reste marqué par l'horreur de la dernière chose qu'il a vue : monf lingue pointé sur lui. Il savait qu'il allait mourir. Et il a eu peur. C'est humain... donc faible.
Le second cadavre est plus crade. Il est toujours vautré dans son fauteuil, la tête en arrière. Du sang a coulé à la comissure de ses lèvres avant de sécher. Sa chemise blanche est ornée de larges tâches rouge foncé...

Je sort mon Desert Eagle de ma poche. Il est entouré d'un sachet transparent qu'on utilise pour ramasser les preuves sur une scène de crime.

"L'arme du crime. Vous trouverez mes empreintes dessus. Il y a au moins une dizaine de témoins qui m'ont vu entrer dans les lieux puis ressortir l'arme au poing après la fusillade."

Dernière chose à faire : je sors mon beretta de service et ma plaque.

"Mon arme, ma plaque."

J'ai tué en dehors de ma juridiction lorsque j'aurais du maissé la justice faire son travail. Avec ça, je suis bon pour la taule, tout lieutenant que je sois.

Une silhouette apparut dans la lumière de mes phares ; je plonge ma main dans ma veste, question de précaution ; mais la voix de Slater arrive à mon cerveau. Cependant, il a l'air un peu angoissé... C'est peut-être une impression, seulement, mais la prudence m'incite à rester sur mes gardes. Je relève le pan de ma veste qui dissimule mon holster, passé à la ceinture. On ne sait jamais. Le Lieutenant m'indique qu'il faut aller chez le shériff. Un type que je connais pas trop ; j'ai dû le voir lors de mon arrivée et dans quelques réunions et manifestations officielles barbantes. Rien de plus. Impossible d'ailleurs de me rappeler son nom... Je passe la tête et le bras par la portière et coupe le moteur. L'obscurité envahit totalement les lieux. Je m'arrête, méfiant, à l'écoute du moindre bruit suspect. Mais, rien ne se passant, je claque la portière et appuie sur ce petit bouton, sur la clé, qui ferme la voiture dans un petit sifflement ridicule. Puis, j'avance vers l'endroit où Slater s'était tenu auparavant.

Il m'avait précédé. Il était devant l'encadrement de la porte du très caractéristique bureau du shériff de Lure Hill quand j'ai senti une atmosphère lourde et malfaisante. Et ce fumet... Cette odeur très particulière, horrible, et de très mauvaise augure, mais qui constituait presque l'ensemble de mon quotidien depuis dix-huit ans.

Malgré la faible luminosité de la pièce, je n'ai pas de mal à analyser le situation. Le premier cadavre que j'identifie est celui du shériff, bien que n'apercevant pas son visage, affalé dans un fauteuil. L'autre doit être celui de son adjoint, j'imagine... Je suis resté dans le trou rectangulaire qu'occupe la porte quand elle est fermée, retenu par une force inconnue. La stupeur, peut-être. Pourtant, je ne suis pas surpris... Non, pas surpris. Je parviens rapidement à détourner mon visage de la scène de tuerie, après avoir promené mes yeux partout pour ne pas sauter un détail. Je me tourne vers Slater, qui s'était glissé de côté pour ne pas bloquer mon champ de vision. C'est alors que je remarque, près de moi dans le mur, un trou relativement épais, explosé... Chevrotine. Vu le nombre de pompes qui ornent le mur du fond. Cette découverte me fais perdre quelques secondes et me fais sauter l'occasion d'observer Slater dans les yeux, à la recherche d'une explication. Car quand mon regard se pose enfin sur lui, il me tend un sachet en plastique, bientôt suivi par son arme de service et sa plaque de policier.

L'arme du crime, empreintes, témoins... D'accord, le Lieutenant a buté le shériff et l'adjoint. Mais... Qu'est-ce qui... Je le fixe un petit moment, en plein dans la rétine, sentant la colère monter. Je secoue plusieurs fois la tête nerveusement, et fais quelques pas en direction du corps du shériff. Enfin, après une hésitation, j'abats mon poing sur le meuble et gueule le nom du Lieutenant. Mais bordel, qu'est-ce qui s'est passé, ici ?

- Lieutenant, gardez vos flingues et votre badge ! Vous vous croyez où ? A la télé ? Comment c'est arrivé, ça ? Hein ? Dites-moi tout, maintenant, et surtout, ne vous avisez pas d'omettre un seul détail, parce que c'est la chaise qui vous attend ! Non... Non mais vous vous rendez compte, au moins ? Ça fais combien de temps que vous êtes là ? Ça fait combien de catastrophes que vous nous pondez en aussi peu de temps ?

Perte de contrôle. J'espère que les voisins ne dorment pas. De toute façon, s'ils pioncent, ils se réveilleront. J'ai les nerfs à fleur de peau, une affaire en or à régler, un projet à mettre à exécution et deux flics assassinés par un barge. Putain ! Putain, Veillez sur nous !

Le capitaine réagit comme je le craignais : il veut un résumé de ce qui s'est passé et là, je vais montré à quel point j'ai merdé.

"Le shériff rackettait les agriculteurs du coin. Ce sont les victimes qui m'avaient tuyautées mais elles préfèraient éviter la justice, cette vieille peur que le flic ait toujours raison devant le juge remontant. Alors je suis allé voir le shériff pour qu'il cesse ses activités. Je l'ai un peu secoué mais rien d'abusif.
Sauf que lorsque j'ai voulu sortir, il m'a shooté à vue avec son fusil à pompe. Je n'ai survécu que par miracle. La balle s'est logée dans le mur là, ce qui explique qu'il en manque un gros morceau. Je n'ai répliqué qu'ensuite, abbatant le shériff. L'adjoint entre temps avait sorti son pétard et m'a tiré dessus à son tour. Dans le stress de l'action, il a mis à côté, mais de peu. La balle s'est enfoncée dans le placard en ferraille là... Une fois de plus, je ne l'ai pris pour cible qu'après l'agression.

Dans tous les cas, c'est de la légitime défense. Sauf que je suis totalement en dehors de ma juridiction..."

Et c'est là que je prends cher : je ne peux être accusé de meurtre, je n'ai fait que me défendre, mais j'aurais du prendre la voie légale classique, ce que je n'ai pas fait. Donc là, je suis sûr d'alle quand même une paire d'années en cabane... Adieu les médailles.

Tout en écoutant, je tourne le fauteuil qui se trouvait devant le bureau du feu shériff pour faire face à Slater et m'assois dessus. Une fois son récit terminé, je pousse un long soupir, presque silencieux. Quel couillu, lui alors ! Qu'est-ce qu'il espérait, tout seul ? Intimider le shériff ? Qui apparaît comme le plus gros caïd du coin ? Je me lève, me dirige lentement vers lui, attrape sa plaque et ses armes et revient à mon siège, où je m'assois après avoir posé tout ce bazar sur le bureau. Puis, je me masse le visage. La flicaille, des fois ! Le monde compte déjà assez de pourris, il a fallu que le type qui gère la loi ici en fasse partie ! Au fond de moi, Slater a plutôt rendu un service qu'autre chose, en partant du principe que ce qu'il me dise est vrai ; mais il n'empêche qu'il est bien en dehors de sa juridiction.

Et puis merde ! Est-ce que je n'ai pas déjà couillé comme ça en service, moi ? Et ne suis-je pas toujours Capitaine ? On a tous eu des écarts de conduite dans cette ville. Et Slater a beau être un abruti, il reste un flic. Ravageur, certes. Mais je risque d'avoir besoin de ses services, surtout avec ce qui se prépare. Je redresse la tête et le fixe dans les yeux.

- Lieutenant, je vais vous expliquer ce que je prévois de faire. Tout d'abord, comme vous vous en doutez, vous serez incarcéré en ville le temps que nous confirmions vos informations, recueillions tous les témoignages, et tous ces trucs chiants. Mais je tiens à vous affirmer que si ce fumier de shériff était réellement un ripou, je mettrais tout en œuvre pour vous éviter la taule et pour que vous conserviez votre plaque. Je dois admettre que j'ai moi-même fais des bavures, depuis ma mutation ici. Et je suis le premier à dire que c'est nécessaire, dans certains cas. Vous auriez quand même pu agir autrement, mais vous aurez mon soutien. Bien que vous ne le méritez peut-être pas. Pour commencer...

Je me lève, tire une paire de menottes de menottes de ma veste et m'approche du Lieutenant, à qui je choppe le bras et que je fais tourner sur lui-même.

- Lieutenant Jack Slater, vous êtes en état d'arrestation, selon les lois en vigueur dans cet état, pour manquement à vos engagements. Vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz sera retenu contre vous. Vous aurez le droit d'appeler un avocat une fois en prison, et l'Etat vous en procurera un si vous n'en avez pas.

Le Lieutenant menotté, je retourne au bureau et fourre les biens de Slater dans mes poches. Puis je pousse ce dernier par l'épaule, poliment, jusqu'à ma Ford. Il s'installe sur le siège passager. Direction : le boulot.

[—> Old Town]