[Bal d'Halloween] C'èra una volta ...

Ma veste est restée dans les mains du rodeo boy de l'entrée, ça lui faisait tellement plaisir.A moi aussi, d'ailleurs. Sublime cette robe-bustier dessinée par Ungaro: corset lacé sur longue jupe fendue d'un côté jusqu'à la hanche.Rouge carmin.Touche de vie dans cet univers sepctral.Rouge sang.Quoi de moins surprenant dans cette ville?

La musique de la soie contre mes jambes se trouve rapidement couverte par une voix acérée et une musique tout aussi tranchante. Les toiles d'araignée et les chaînes sont du plus bel effet: entre fantasmagorie et mauvais goût. Mais, bref. La déco, présentement, j'en ai rien à foutre. Si je croise la propriétaire, je lui poserai juste une question: où sont les cercueils....?..Ce ne serait pas un luxe, vu le nombre important de participants à la "rubrique nécrologie" du Depra Epitaph..

J'arrive au sous-sol. C'est blindé de monde. Je fais un rapide tour d'horizon. Il y a tout et rien. De la jeune blonde chic au pervers sapé, en passant par le tueur à gages..
Contrairement à la déco, la scène semble avoir été pensée.Je scotche sur la fille perchée sur des échasses qui ondule avec une grâce reptilienne, illustrant une utilisation très artistique de la cravache, sous les regards concupiscents des hommes et des femmes respectables dans la salle.
C'est donc ça, Halloween...

Je m'éloigne de la foule et des mains-au-cul, chose que je supporte encore moins que les bouseux, à dire vrai. Détournant les yeux de la danseuse sautillante, je regarde de nouveau autour. Vu ce qu'elle doit palper, la Veuve, soit elle a un gentil protecteur, soit elle ne dort pas tranquille. Il ne doit pas être difficile à reconnaître, celui que je cherche.

Un homme en costume de défunt attire mon attention. Il ne doit pas être américain celui-là. Pas assez bling bling. Je l'observe plus précisément.
Il a l'air en extase. Comme s'il assistait au sermon du dimanche, à l'église.
Je fais mine de regarder la fille quitter la scène sous les acclamations du public.

Un fin sourire étire le visage de l'interlocuteur de Mlle Andolini-Perron, sourire avenant accompagné d'un geste de la main en arc de cercle. Le visage s'incline légèrement puis revient à sa position. L'homme semble à peine résister à la tentation de ressortir le cigare. Mais il se contente d'un léger sourire et une voix suave, profonde se fait délicatement entendre. Une voix cependant teintée d'un réel accent ensoleillé qui, sans être désagréable à l'oreille, colore néanmoins profondément la phrase

" Cohiba Espléndido, en effet. C'est veramente un plaisir de rencontrer une réelle amatrice. "

Madonna, je dois avouer que non mi aspettavo* à questo. Une demoiselle comme elle, dans un lieu comme celui-ci, amusant. Penso que l'on s'engage sur une voie de profit mutuale. Molto interessante. Une distinction certaine mais également, une certaine ... provocazione. Comme s'il lui fallait un élément d'impertinence pour parfaire le tableau. C'est le genre de personne que vedo aussi bene s'occuper d'un poste de chef d'entreprise que de responsabile dans un cartel de drogue. Multiples visages. Comme ce qui est indicato par il suo masque, plusieurs visages, plusieurs ... personnalités à découvrir petit à petit ...

" Suis-je d'une impolitesse, j'allais oublier de mi presentare: Matteo Sangue. Puis-je vous demander d'où vous vient questa cultura pour les belles choses ? "

Le doigt se tend légèrement et désigne presque nonchalamment le fume-cigarette en argent de la gente demoiselle. Le regard dénote une curiosité presque piquée au vif. Le genre de type de curiosité que vous pouvez ressentir devant un plat inconnu mais dégageant un fumet fort délectable. Matteo semblait avoir en ce moment même oublié tout l'environnement, chose facilitée par la musique décroissante.


________________________________________________
* aspettavo: je ne m'attendais pas

Je ne trouve jamais mon foutu briquet, alors inutile de le chercher dans mon sac pendant des plombes. J' ébauche un sourire en entendant sa voix. Très masculine. Timbre grave, couleur chaude.

" De l'homme le plus respectable et sensé que la terre ait jamais porté...mon père. Mais, vous-même, monsieur Sangue, y a-t-il d'autres choses qui suscitent votre intérêt autant que les lignes classiques?"

Ce disant, je m'attarde effrontément sur ce costume qui m'intrigue. Et comme l'habit ne fait pas toujours le moine, des pensées suggestives me viennent alors. Ses mains sont si expressives, j'ai l'impression qu'il ne pourrait pas communiquer sans. Je décroise mes jambes pour les recroiser aussitôt. Cet endroit est plein de surprises. Je lance un regard rapide en direction d'un homme attablé plus loin, puis revenant à mon ténébreux interlocuteur, lui présente ma main gauche, le fume-cigarette entre les doigts.


"Erato Andolini-Perron. Je suis ici depuis peu. Peut-être, pourrions-nous découvrir certains recoins de cette ville ensemble."


On ne peut plus clair. Histoire de satisfaire la curiosité éveillée par cette rencontre.Une autre danseuse entre en scène à ce moment.

L'Italien tend doucement une main dans laquelle réside un zippo argenté. La flamme qui en sort est très douce sans d'être chevrotante. La cigarette s'embrase en un chuintement ténu, imperceptible dans ce brouhaha environnant. Satisfait, l'Italien referme d'un geste son feu et le fait disparaître dans une poche. Il sourit légèrement et oriente la paume de la main vers le haut en un arc de cercle très typique. L'attitude avec laquelle Mlle Andolini-Perron lui a présenté le fume-cigarette en révèle assez long sur son caractère: l'homme est un gentleman tant qu'il lui exécute ses quatre volontés. Intéressant à savoir pour le Sicilien.

" J'avoue avoir un faible per les arts en generale, mais surtout la cuisine... lo sa*, la cuisine siciliane. Manger simplement en ayant un plaisir sempre renouvelé. "

Ho pensavo à lui dire que j'appréciais également les relations humaines et la culture de mon pays. Mais penso qu'elle a très bien compris lorsque ho parlato de cuisine. Pour moi, la Sicilia est tout ce qui reste de mon identité... Et c'est un peu ce que je tente de recréare avec le restaurant. Un petit coin du pays. Una personne cultivée, mais curieusement étrange. Respectable peut-être, ... passionata de légalité, je n'en mettrai pas ma main à couper. Surtout lorsqu'on porte un nom rappelant si bien un film de Francis Ford Coppola. Un grand film ... Un peu romanza ... Mais grand film ... Mi chiamo Vito Andolini Corleone*.

" Je me suis installé assez récemment à Depra City. Ce sera un véritable plaisir de faire quelques piccolini découvertes avec vous, mademoiselle. Si jamais le hasard vous fait passer par Twihood, n'oubliez pas de passer me vedere al Siparino. C'est un petit restaurant, mon "bébé" en quelque sorte. Vous serez mon invitée. "

Curieux, n'est-ce pas ? L'homme au costume et à la voix profonde s'avère être un simple restaurateur dans une grande ville. Un restaurateur qui fume des Cohibas Espléndidos et qui semble assez calé en art culinaire. Le Sicilien repose son dos contre le dossier et ses mains cessent enfin leur petit ballet et se croisent l'une l'autre, comme pour se soutenir mutuellement après cette discussion. L'Italien regarde d'un oeil distrait ce qui se passe sur la scène, son regard s'accrochant légèrement sur le capitaine de la Police avant de revenir à sa charmante interlocutrice. Il la gratifie d'un sourire aimable.

" Et dites-moi ... Qu'est-ce qui vous a attirée dans questà città de Depra City pour que vous choisi de venir vous y installer ? "


_________________________________
* je m'appelle Vito Andolini Corleone.

"Si je vous disais, la cuisine sicilienne, vous ne me croiriez pas,n'est-ce pas?"

De même qu'elle ne croyait pas qu'il se soit installé dans cette ville, simplement par engouement culinaire. Son restaurant doit marcher du feu de dieu, du moins, suffisamment pour lui permettre de fumer des Cohibas.
Un amateur d'art, décidément, je m'interroge sur ses vices potentiels.

"La même chose que vous, l'Art. Je dirige la galerie Estaras, à Central Business District. Je fais principalement la promotion d'artistes sud- américains, pour le moment. A l'occasion, je me ferai un plaisir de vous montrer mon atelier."

J'écrase délicatement la chesterfield. Evidemment, ce n'était que partie de la vérité. Et lui souris pour la première fois. Il a compris que je n'en dirais pas plus, à ce sujet. "Habla poco, haz mucho"...On est faits pour s'entendre. De nouveau, je regarde le quinquagénaire assis plus loin. On dirait bien que les gens se bousculent pour un brin de causette avec lui.

Matteo..

"Curieux.."Siparino" comme nom pour un restaurant. Amateur de vin blanc espagnol ?"

Presque fasciné par la jeune femme, Matteo l'écoutait parler de sa voix douce et gentillette dans ce décor si perverti et oppressant. Un coup d'oeil discret vers la scène ne suffisait plus désormais à fixer son attention et il en revint bien vite à la jeune femme. Il lui sourit à sa première remarque et ses mains trahirent une heureuse surprise par un petit mouvement typiquement italien.

" J'aurais qualque doutes en effet. "

Amusant de voir que li piace de jouer avec le feu. ELle aime taquiner. Sans trop en dire comme le trahit sa réponse à ma question sur ses activités. Manifestamente, elle comme moi, nous avons una affection tutta particolare pour l'omerta et le fait de parlare poco, pero parlare bene.
J'aime son style. Atypique, certainement agressif dans son genre, mais un beau style, empreint de panache. Et j'ai une faiblesse pour le panache. Surtout lorsqu'il est utilisé aux mains de si jolis atours.

" Ce serait avec plaisir que je vous suivrai dans votre antre ... "

Indubitablement l'intérêt que portait Matteo à son interlocutrice n'était pas feint. Il écoutait attentivement chacun de ses mots, s'imprégnant de leurs syllabes, de leurs sonorités, de la manière dont ils étaient prononcés. Il cernait le style de la demoiselle Andolini tout en s'interrogeant sur sa personnalité. Ses yeux profonds étaient rivés dans ceux de la demoiselle en un regard assez étrange.

" Vous vous méprenez. Le siparino est le nom qu'on donne à un petit rideau d'une scène de théâtre. Rien de plus. "

Rien de plus...

" J'ai veramente una préférence marquée pour les vins de mon pays. J'ai comme l'impression que le soleil qu'on a enfermé dans ces bouteilles ne pourra pas se retrouver ailleurs. Curieux personnage, n'est-il pas ? "

Et apparemment, le Sicilien avait repéré son manège avec le bonhomme beaucoup trop richement vêtu assis non loin... Et il maîtrisait l'art de passer du coq à l'âne sans modifier aucunement l'intonation de sa voix. Sacré Matteo, mais un poil déstabilisant tout de même.