Le Bureau du Procureur

Il y avait comme une sorte d'ombre noire, lorsque je pénétrais le bureau. Il était pourtant bien éclairé. Plutôt grand. Normal, c'était le bureau du Procureur. Le jeune avocat qui l'avait menée là (le genre de newbie fraichement diplômé qui serait assigné à n'importe quel cas aléatoire, indéfendable, et ce parce qu'il est sur la liste des "commis d'office") avait été surpris par son jeune âge, mais on était pas une enfant surdouée foulant les dalles de Berkeley à quinze ans sans avoir un avenir brillant.

Le bureau était donc grand, quelque chose avoisinant les quinze mètres carrés avec trois grandes fenêtres munies de stores métalliques ouvrant sur le quartier de Sutter Mill's Place. Le bureau était en bois massif, Lili ne saurait définir dans lequel. Derrière, il y avait un grand fauteuil en cuir qui m'avait ma foi l'air particulièrement confortable.

Je me serais sentie parfaitement à l'aise si ce bureau n'avait pas été un foutoir sans nom. Un capharnaüm de papier et de dossiers empilés, renversés, déchirés ça et là, faisant de ce quinze mètres carrés une chambre de bonne de type "cabane au fond du jardin".

Un genre de tornade avait du y passer, laissant uniquement les ruines de l'incompétence (ou de l'excès de zèle) de mon prédécesseur. Le jeune avocat me dit que les policiers avaient laissé tout cela tel quel après avoir enlevé les bandeaux et appelé le nettoyage pour enlever le sang sur le fauteuil. Je retins tout juste un haut le cœur. Mon visage est beaucoup trop harmonieux pour être déformé de la sorte...

J'enjambais donc les piles, contournais les papiers et entrepris de débarrasser un peu le bureau. Le juge se retira, ajoutant que la nouvelle secrétaire était dans le bureau d'à côté en train de nettoyer elle même le propre bazar laissé par les meurtriers de son prédécésseur (assurément les mêmes qui auront tué le procureur, soupirais-je)

J'attendis que le jeunot soit parti pour soupirer. Tout était de la faute de mon père. Aussi la mienne certes, mais ces scandales, ces faveurs sexuelles, ces harcèlements, ces pots-de-vin...

Je plaçais mon visage entre mes mains puis décidais de travailler à au moins dégager le bureau. Je m'occuperai de les trier par ordre d'importance, type de crime (si cela relève du civil, du criminel ou du pénal), des dossiers en attente, des appels... (Bref, de tout remettre en ordre !) plus tard.

Lorsque j'aurais évacué le pressentiment que l'échiquier était truffé de pièges à mon intention.

J'ai enfin de la place pour écrire. Et un petit chemin de moquette jaune brique pour mettre un pied devant l'autre.

C'est déjà ça de gagné !

J'ai donc commencé à m'attaquer au triage à proprement parler. C'est à dire classer les dossiers par ordre de gravité de misdemeanors à felonies (à transférer au procureur de l'Etat) et je ne m'arrêtais que lorsque le téléphone sonna.

La secrétaire, qui elle aussi mettait de l'ordre dans son bureau me dit que c'était le procureur de l'Etat, justement...

"Allo ?"

"Mrs Bliss-Chess ?"

"Miss Bliss."

"Bien, je suis Marais Van Der Vyver, procureur de l'Etat de Californie et je me voix dans l'obligation de... vous, comme qui dirait, informer..."

Le ton de sa voix ne me disait rien qui vaille.

"Si cela peut m'empêcher de faire une bêtise..." répond-je

"Le compté de Depra est autonome... C'est à dire que sous la masse de travail, vous ne pourrez rien me déléguer... Encore moins les felonies."

J'ouvris des yeux ronds que mon supérieur ne put pas voir mais parut le sentir.

"Vous devez absolument tout garder à l'intérieur de Depra, que rien ne s'échappe, même si l'Epitaph pourra vous poser des ennuis, mais..."

"Si je vous transmet un doss..."

"Brûlé et oublié... Et ne tentez pas de découvrir qui me fait chanter. C'est comme ça à Depra depuis son occupation par les colons de l'Est il y a cent cinquante ans et ce n'est pas prêt de changer. Depuis que vous avez été assignée à ce compté, vous êtes seule et je suis bien gentil de vous mettre au parfum. Votre prédécesseur lui n'a pas souhaité faire profil bas, il en a payé le prix dans la monnaie qui a cours à DepraCity..."

Aucun besoin de me dire lequel... Il y en a encore un peu sur l'accoudoir de mon fauteuil.

"Ne faites pas de bêtise, Miss Bliss. Vous êtes bien jeune, ce serait dommage que vous terminiez comme Mr Raines."

Cet homme me dégoûtait au plus haut point. Il avait peur. Ça se sentait.

"J'apprécie votre mansuétude, Mr Van Der Vyver... Au revoir..."

Je raccrochais avant d'entendre la formule de politesse retour...

Seule dans Depra. Certes. Cela pourrait être intéressant. Et si je pouvais trouver un amusement ?

Cela me prit le reste de la journée pour terminer mon travail. La reprise des audiences aurait lieu après-demain. Si j'en profitais pour explorer les institutions de la ville ?

De plus, ne disposant pas de voiture de fonction, il serait sympathique de m'en procurer une...

Et ensuite rendre une visite de courtoisie à ceux qui ont toujours fait la loi, on toujours eu tous les pouvoirs... Faire couler des navires, détruire des personnes, inventer des vérités... Les journalistes...

----------

*Misdemeanors : délits mineurs
*Felonies : crimes graves

Nombre de messages : 288 Date d'inscription : 25/11/2007

Un fax arrive de la part du Maire, il est accompagné d'une lettre de ce dernier qui en explique la teneur.

Fax a écrit:: Madame le Procureur,

Je me présente, Leonard Atkins, Maire de Depracity, récemment nommé. Je tiens d'abord à vous féliciter pour l'obtention de votre nouveau poste et espère que nous entretiendrons des relations solides qui nous permettrons de faire un travail exemplaire.
J'ai un premier dossier à vous communiquer, qui m'a été envoyé de source anonyme suite à ma déclaration sur le meutre du précédent Maire. Il contient toutes sortes de preuves accablante contre une société visiblement basée dans le Downtown.
Je n'ai pas autorité pour agir seul, néanmoins vous pouvez m'aider en constituant un dossier et un mandat d'arrêt qui mèneront ces responsables devant un tribunal, où ils seront jugés.

Désolé de vous imposer aussi rapidement des responsabilités, mais je ne doute pas de votre efficacité.

Veuillez agréer Madame, mes plus sincères salutations.

Leonard Atkins
Maire de Depracity

En effet, le dossier constitue une preuve en béton armée contre cette société qui pourrait donc bien se retrouver à comparaître prochainement.

Je suis revenue par pure formalité, et aussi parce que j'avais oublié de charger ma valise de quelques dossiers à étudier. Puisque j'allais devoir m'occuper d'absolument toute la criminalité de Depra, autant me débarrasser du travail à l'avance...

Ne remets jamais à demain ce que tu peux faire le jour même disait Greta Shaw, la gouvernante.

Je vais donc au bureau alors que les audiences ne reprennent que demain et remarque donc immédiatement un dossier épais en plein milieu du bureau...

La secrétaire l'y aura posé là, ignorant mon système de classification... Je devrais lui en faire part. Je soupire un instant. Que donnerais-je pour un week-end de repos à la barbade. Paradoxalement, j'ai à peine commencé à travailler...

Je me saisis donc du dossier marqué au feutre noir, du fax du Maire et de quelques autres dossiers mineurs avant de claquer la porte du bureau derrière moi. Que je n'y rentre plus avant le début des audiences !!

Voilà, je suis de nouveau au boulot... Et je potasse ce putain de dossier. Y'a du lourd. Ca y'a pas à dire, y'a du lourd contre cette société...

"Patricia, vous enverrez une lettre pour Monsieur Thomas Taylor, dossier M452, lui demandant de venir me rencontrer à mon bureau. Avec confirmation téléphonique, s'il vous plaît. C'est un rendez-vous entre lui et moi, bien sûr, je vous demanderai donc la plus grande discrétion."

Je suis sûre qu'un petit arrangement entre lui et moi pourrait n'être que lucratif...

Je regarde un autre dossier, un petit délit mineur. Je signe le papier, l'audience est demain.

J'ai un plan... Puisque je suis seule, je vais m'arranger pour devenir la Reine... La Reine de Depra ! Un rictus déforma un instant mon visage angélique.

Déjà plusieurs affaires traitées. Je vois maintenant mon bureau comme un échappatoire. Mon refuge, ma tanière qui me protège contre les vents du travail constant.

Des affaires de meurtres, de viols, de complots, de crimes et de vols à la tire (vols à la tire ?!?) et toutes traitées par une seule personne... Moi. Maintenant que j'ai tâté le terrain, je me dis "Oh putain ! Je veux respirer !"

Et le téléphone sonne avant que je n'aie pu confortablement m'installer dans mon fauteuil. Si ce n'est pas Taylor m'invitant au restaurant, je hurle.

"Mrs Bliss"

...
Mais arrêtez de m'appeler madame !

"Oui."

"Ici Miss Holmes, je suis la secrétaire de Mr Taylor."

Voix professionnelle, sans âme... Mais je ne hurlerait pas au final. Non. Trop fière.

"Vous avez invité Mr Taylor à vous rencontrer à la date de son choix et je crois devoir vous informer de son indisponibilité. Mr Taylor est dans le coma des suites d'un accident. Une enquête policière à ce sujet."

Merde. Va falloir passer au plan B dans le processus de domination du monde, Cortex.

"Et bien, merci beaucoup de votre obligeance, Miss Holmes. Si Mr Taylor se retrouve dans la capacité de venir me rencontrer, faites m'en part. Merci."

Et raccroche. Et s'assoit, et croise les doigts. Et réfléchit. Mes deux sourcils sont froncés. Mes globes occulaires vont de l'annuaire, au téléphone, du téléphone à la pile de dossiers, de la masse de papiers à la porte.

J'enlève ma robe de magistrat et je met mon manteau. Besoin de m'aérer l'esprit. La porte claque. Et me voilà dehors.

> Ailleurs

» Bureau du Commissaire
» Bureau de Sam Lake
» Bureau du Capitaine
» Le bureau du directeur
» Le bureau du Maire